Soundpainting
Langage gestuel de composition en temps réel
Créé par Walter Thompson dans les années 80, le Soundpainting est un langage qui permet de communiquer par gestes avec des improvisateurs.
C’est un langage pluridisciplinaire qui s’adresse à des musiciens, des danseurs, des comédiens, des artistes visuels. Il permet de créer en temps réel une performance artistique avec une construction cohérente à partir d’un matériau entièrement improvisé. La qualité de cette performance dépendra de la créativité du chef et des « performeurs », et de leur capacité à s’écouter et à interagir.
Plus de 1 000 signes existent dans ce langage pour communiquer ; cependant, une trentaine suffit pour s’initier à cette pratique.
Ensemble Anitya
Composition instantanée
A l’école
Article de libération
“Lorsque j’ai découvert le soundpainting il y a une quinzaine d’annes, ce fut pour moi une sorte d’évidence : ce langage correspondait précisément à une attente qui me permettrait de concilier la composition et l’improvisation, le travail avec un ensemble important, incluant des palette sonores variées et différentes disciplines, tout en maintenant un rapport vivant et ludique à la scène. Un rêve de môme ! Je réunis une quinzaine de performeurs : musiciens classiques et jazz, chanteurs, comédiens, qui devinrent le point de départ de l’ensemble Anitya, et très rapidement nous sommes parvenus à un stade où chacun prenait du plaisir et arrivait à s’accorder en dépit de parcours très divers. Avoir un référent extérieur, jaugeant et organisant la matière produite en temps réel présentait 3 avantages immédiats :
– en les libérant d’un auto-jugement inhibant, le soundpainting autorisait plus de libertés aux performeurs, pour certains peu habitués à l’improvisation, jusqu’à s’aventurer dans des disciplines qui leurs étaient étrangères ;
– il permettait de contourner certaines problématiques liées aux ego des solistesqui s’abandonnaient plus volontiers dans ce cadre aux nécessités du corps collectif ;
– il permettait l’émergence instantanée de points de focalisation, nécessaires lors d’un travail avec de grands ensembles.
Un outil
Il m’apparaît fondamental de considérer le soundpainting comme un langage de communication, ou plutôt comme un métalangage, au-delà des idiomes, des styles et des disciplines. En travaillant sur les paramètres fondamentaux des arts, en considérant le matériau selon un regard « moderne », il autorise une vaste extension du champ des possibles. En le considérant plus comme un outil que comme une esthétique, il révèle au mieux son potentiel. On peut en effet l’utiliser afin de donner des directions générales dans le cadre d’un improvisation générative (créant une œuvre ex nihilo), ou au contraire sporadiquement dans un parcours préétabli, avec des textes, des partitions, des chorégraphies écrits ; on peut encore l’utiliser pour déformer ces œuvres en temps réel, ou recomposer la forme globale de la performance sans en toucher les matériaux singuliers. Le soundpainter peut être compositeur de l’œuvre en ayant en permanence les « mains dans la matière », avec des indications précises, ou au contraire se limiter à être un référent ponctuel, partageant la direction avec d’autres performeurs au cours d’une improvisation. Le soundpainting peut être utilisé comme technique pour générer de la matière retravaillée ensuite, et interprétée avec des partitions sur scène. Décrié d’un côté par les tenants de l’improvisation libre, de l’autre par les compositeurs partisans d’un contrôle rigoureux de l’œuvre, il me semble parfois que ce n’est pas tant le soundpainting en tant que langage que ses détracteurs remettent en cause, mais plutôt la façon dont il est utilisé.
Lego d’ego
Dans ces multiples approches possibles, le soundpainting m’a finalement donné beaucoup de liberté pour créer et rassembler d’autres créateurs autour d’une dynamique de recherche permanente. Le travail que nous faisons avec Anitya se soucie assez peu d’une cohérence stylistique, en jouant au contraire sur la notion de collage et de superposition, conjugaisons inattendues des imaginaires des performeurs, collusions et collisions étant les bienvenues. L’unité, si elle se fait, s’établit au niveau des correspondances inconscientes, dans des rapports sémiologiques éveillés par les citations. L’ensemble se transforme parfois en un immense instrument, échantillonneur vivant, toujours en éveil, ou au contraire récupère son autonomie pour élaborer « organiquement » son parcours. Au cours d’une performance, j’ai alors le sentiment que la notion de compositeur voyage et se transmet, se transforme, suivant des points de gravité, de magnétisme.
Et c’est précisément ce danger de la création en action qui parle au public, le plaisir de sentir une proposition individuelle devenir une métaphore filée collectivement, le plaisir de rendre le présent plus proche, plus tangible. Pour le néophyte, la présence du soundpainter lui offre une porte d’entrée visible sur l’acte d’improvisation, acte qui lui demeure en général hermétique, et lui permet de se laisser guider dans des chemins de traverses aux couleurs « contemporaines » que, bien souvent, il refuserait d’emblée.
Effet de mode ou lame de fond, il faudra attendre quelques décennies sans doute pour le savoir. Une fois que l’aspect frappant et spectaculaire de ce langage n’étonnera plus, deviendra t-il une sorte d’évidence, d’acquis pour une autre approche des arts de la scène et de l’improvisation ? Pédagogiquement, en tout cas, le soundpainting semble déjà avoir gagné ses lettres de noblesse, apportant une fraîcheur salutaire dans les pratiques artistiques.”
Christophe Cagnolari